Le Gaucher aurait-il dû rester en Angleterre ? Tentation et déni de l'étranger dans le Skaz du Gaucher bigle de Tula et de la puce d'acier de N. S. Leskov
Résumé
Lorsque le conte oral du Gaucher bigle de Tula et de la puce d'acier (сказ о тульском косом левше и о стальной блохе) a été publié à l'automne 1881, il a suscité des réactions pour le moins contrastées, pour ne pas dire contradictoires. Car à travers les péripéties d'une histoire qui mène le héros du conte de Leskov de Tula à Londres et le fait passer d'une gloire éphémère à une mort ignominieuse, on peut lire en filigrane quelques-uns des paradoxes qui sont à l'origine de cette construction mentale appelée « la Russie et l'Europe » : fascination du monde russe pour les merveilles technologiques de l'Occident ; désir d'imiter et de surpasser le savoir-faire européen par les seules forces d'une "nature russe" en voie de mythification. Dans le Gaucher, l’inscription des modèles occidentaux n’est pas tant repérable au niveau de la thématique que de la poétique, et ces modèles font plus spécifiquement l’objet d’un jeu linguistique permanent. L’étymologie populaire, ce procédé qui consiste, pour un locuteur à demi lettré, à russifier un terme d’origine étrangère ou savante (slavonne), est le support d’une véritable vision du monde : chaque néologisme issu de l'étymologie populaire s'élargit en effet jusqu'à créer une figure, un trope, qui lui-même est un embryon ou une esquisse de fiction, la monade d'un
récit ou d'une narration. Dans le contexte du Gaucher, ce récit est celui d'une tentative de définition de soi et de l'autre.
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